Un business de niche, c’est l’inverse d’un business « mainstream », c’est à dire un business qui s’adresse à « tout le monde ». La mode inclusive, quel que soit son focus, a vocation à s’adresser à « plus de monde » que la mode classique. Et pourtant, elle continue à être considérée, par les pros du secteur autant que par le grand public, comme un business « de niche » 🤔 Logique much ?

Dans cet article, je vous emmène décrypter ce paradoxe de la mode inclusive !

C’est quoi la « mode inclusive » ?

Déjà, il faut se demander de quoi on parle quand on dit « mode inclusive ». Dans un précédent article, j’en ai donné ma définition personnelle :

une mode qui prend en compte, dès sa conception, TOUS les corps.

en précisant aussi que je le vois plus comme un idéal vers lequel tendre, plus que comme un état de fait. L’important, pour moi, c’est avant tout de croire fermement que toute personne a le droit de s’habiller sans jugements, et d’intégrer des améliorations au fur et à mesure pour être chaque jour un peu plus inclusive que le précédent.

 

Mais, dans la vie de tous les jours, quand on cherche de la mode inclusive, on tombe sur plein de réalités différentes :

  • des vêtements pour toutes les femmes (et donc pas pour les autres genres)
  • des marques qui vont jusqu’à la taille 54 (et donc pas plus haut)
  • des campagnes de pubs ou des défilés qui montrent des mannequins non blanches (waouw, l’audace 😑)
  • des vêtements pensés expressément pour personnes handicapées (comme Tommy Adaptative ou Pink Adaptative de Victoria’s Secret)

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Je ne suis pas ici pour juger si oui ou non c'est de l'inclusive-washing. Y a du bon et y a du moins bon 🤷‍♀️ 

Et ça, c’est un premier élément de réponse à notre paradoxe : la plupart des projets « inclusifs » conservent tout de même une forme d’exclusivité. MAIS (et c’est un grand « mais ») ils restent en fait toujours plus inclusives que la mode « classique », dont le public cible est en réalité hyper restreint (femmes minces, jeunes, CSP+, valides etc).

Inclusive...comme l’écriture ?

Pour apporter un autre élément de réponse à notre paradoxe, je vous propose de faire un détour par la cousine de la mode inclusive : l’écriture inclusive. Toutes deux partagent le fait d’être des moyens d’expression auxquels on adresse toutes sortes de reproches. Parmi eux, il y en a un qui revient systématiquement : l’idée qu’une minorité veuille imposer ses codes à une majorité.

Or, ...

 

Une minorité qui impose ses codes à une majorité, c’est littéralement le reproche que fait l’écriture (et la mode) inclusive au courant dominant. Quand on s’adresse à 10 femmes et un homme en les genrant au masculin, on est clairement dans un cas où une minorité impose ses codes (accords masculin) à une majorité, non?

Au contraire, l’écriture inclusive est une tentative de rééquilibrer les choses, d’avoir une représentation plus précise et plus juste du monde qui nous entoure et une expression plus égalitaire. 

Ce reproche ne tient donc pas le route. Par contre, il nous dit beaucoup de ce qui se cache derrière lui. Avoir peur qu’une minorité impose ses codes à une majorité alors que c’est déjà le cas, c’est en fait avoir peur qu’une autre minorité aie son mot à dire. C’est la peur qu’une domination (réelle ou symbolique) soit supprimée.

« Le masculin l’emporte » c’est une forme de domination symbolique des hommes sur les femmes (au cas où tu doutes, je t’invite à check la vidéo ci-dessus qui montre les origines misogyne complètement assumées de cette règle). De même, les vêtements qui s’arrêtent au 42, reléguant les personnes plus grosses à se débrouiller pour trouver des vêtements à leurs taille, c’est une forme de domination des minces sur les gros-ses.

Si toutes les marques de vêtements proposaient toutes les tailles, ce serait admettre que toutes les corpulences sont ok. Or, c’est un pas qu’encore trop peu de gens sont prêt-e-s à faire.

Assigner la mode inclusive à la case « de niche », c’est en fait la conserver comme quelque chose de « pas normal », d’exceptionnel. Et donc, par la même occasion, c’est sous-entendre qu’il y a, ailleurs que dans la mode inclusive, une normalité. Et cette distinction normal/pas normal permet de justifier une différence de traitement. Par exemple, tu peux t’habiller où tu veux si tu es normal-e (=mince) mais si tu ne l’es pas (=taille au-delà du 44), c’est à toi de faire des efforts pour trouver des vêtements qui te conviennent ou pour rentrer dans la norme (=maigrir) et là tu auras « gagné » un traitement normal.

 

En écrivant ces lignes, je suis choquée moi-même par la violence de ces propos. Parce que, même si ce n’est jamais dit de manière aussi frontale, c’est littéralement cette violence, ces discriminations que vivent au quotidien les personnes grosses.

Et si la mode inclusive devenait la norme ?

N’en déplaise aux dominants paniqués à l’idée d’abandonner leur position, nous sommes de plus en plus nombreux-ses à nous lancer sur le chemin de la mode inclusive. Et ce, même si (comme moi) on n’a a priori rien à y gagner : je suis une femme mince avec une expression de genre plutôt féminine. En résumé, je trouve tous les vêtements que je veux dans les magasins classiques et je ne suis pas discriminée sur mon physique.

Alors, pourquoi vouloir participer à une mode plus inclusive ? La question que j’ai plutôt envie de poser c’est « pourquoi pas ? »

Qu’est-ce qu’on y perd, en tant que privilégié-e, à militer pour plus d’inclusion ? Ben en fait… RIEN. A part cette fameuse domination dont j’ai parlé précédemment et qui, franchement, ne me fait pas envie.

En réalité, une mode plus inclusive est bénéfique pour toustes ! Celleux qui sont déjà dans norme le restent. Mais la mode inclusive peut aussi aider les personnes qui font partie de la norme tout en étant super malheureuses dans leur vie justement parce qu’elles redoublent d’efforts pour y être. Régimes, autocensure, mépris de soi, besoin de cacher sa vraie expression de genre par peur des représailles… Et tout ça, évidemment, ça fait effet boule de neige : plus d’acceptation de soi = moins de discrimination des autres = plus d’acceptation de soi, etc.

Et puis, évidemment, les personnes qui, jusque là, étaient considérées comme hors de la norme, y sont intégrées et ne souffrent plus des discriminations !

 

Car finalement, c’est ça la vocation de la mode inclusive. Non pas créer des fringues pour les personnes aujourd’hui exclues de la mode classique, mais plutôt de devenir une niche tellement énorme et tellement diversifiée que plus personne ne domine plus personne !

Alors, who’s with me ?


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