Alors que nos pays (le mien en tout cas) sombrent dans l’extrême droite à une vitesse faramineuse, je me demande parfois pourquoi continuer à faire des vêtements. Au final, à quoi bon ? Et puis, d’ailleurs, les vêtements c’est juste un truc futile, superficiel.

Et en même temps, je me dis parfois

« je dois me battre avec les seules armes que j’ai : mon cerveau et mes fringues »

Alors dans cet article, je voudrais réfléchir à la portée politique que peut avoir un vêtement. Let’s go !

L’assignation à la futilité est politique

Déjà, qui a dit que le vêtement était superficiel ? Réponse courte : Martin Luther.

Rassure-toi, je vais élaborer.

En gros, selon les époques, la mode prend plein de formes différentes, mais jusqu’au XVIème siècle, c’est quelque chose de plutôt valorisé : les couleurs, le maquillage, les parures ultra travaillées, c’est un truc de riches et surtout, c’est un truc non genré.

Portait d'Henri IV en Mars - Ambroise Dubois ( vers 1605-1606)

Mais avec la Réforme Protestante, Martin Luther et sa team commencent à faire l’apologie de la sobriété (pas en mode écolo hein, plutôt en mode « si tu portes des couleurs t’es pas un vrai protestant » genre). Et donc, petit à petit, le noir s’impose dans le clergé. Et le clergé, c’est des hommes de 1, et des gens puissants de 2. Alors on remet pas trop en question cette vision des choses.

Quelques décennies plus tard, la Révolution Française achève cette condamnation de la couleur en l’associant symboliquement à la monarchie qui venait d’être abolie. Parce que oui, les rois avant, ils mettaient des robes, des grands chapeaux, du maquillage et des paillettes.

Un vrai leader doit savoir gouverner grâce à son charisme naturel, intrinsèque : porter des couleurs vives est considéré comme vulgaire, comme une tentative d'attirer l'attention par son habit plutôt que par ses qualités.

En parallèle, on voit aussi se développer le costume 3 pièces, un incontournable du vestiaire masculin. La coupe du costume va évoluer au fil des siècles et, tout comme la mode féminine, va accentuer certaines parties du corps. Les boutons tombent, le torse s'ouvre en forme de "V", la silhouette s'allonge... Pendant ce temps-là, les fioritures s'amoindrissent et sont reléguées à "des trucs de femmes". Peu à peu, le vêtement féminin garde tous les attributs de la frivolité alors que le costume masculin transmet une image de sérieux, de sobriété, de rationalité.

George "Beau" Brummell, watercolor by Richard Dighton (1805) Caricature of Beau Brummell done as a print by Robert Dighton, 1805.

Ce que ce petit détour historique nous raconte, en fait, c’est que désigner le vêtement comme frivole, superficiel ou vulgaire, c’est un acte politique. Que ce soit au niveau macro, pour faire sécession avec un ancien pouvoir ou au niveau micro (individuel quoi) pour donner une image de force et de sérieux. Et distinguer le costume féminin du costume masculin, qui plus est sur base de ces critères de rationnel vs frivole, ce n’est pas innocent, c’est… politique !

Produire un vêtement, c’est politique

Et puisque la séparation genrée des vestiaires est politique, les rassembler l’est tout autant ! La portée politique de ce que je fais est peut-être moins dans les visuels, les messages imprimés sur des t-shirts ou les robes portées par des hommes que dans le message que je porte : qui que tu sois, tu as le droit de porter les vêtements que tu veux, et personne ne peut te discriminer sur cette base.

D'ailleurs, le fait de créer des vêtements non genrés, même si c’est des t-shirts et des jeans, c’est déjà une révolution. Et si c’est des jupes roses, alors là… !

C’est pareil pour le sur mesure : ce n’est pas tant le modèle du vêtement qui a un impact que l’idée même qu’on puisse être autorisé-e à trouver des vêtements à sa taille, quelle qu’elle soit. En fait, c’est l’abolition totale de la hiérarchisation des individus qui, dans ma marque, importe vraiment. C’est pas le fait de dessiner une salopette orange flash, c’est le fait de dire que le vêtement que je crée n’est pas destiné à une caste exclusive de gens qui rentrent dans certains critères ultra arbitraires. C’est ça qui m’anime depuis des années et c’est une prise de position qui m’a déjà valu quelques menaces et campagnes de harcèlement. C’est donc probablement bien la preuve que oui, produire des vêtements, c’est politique.

Porter un vêtement, c’est politique

Mais de votre côté aussi, le statement est fort. Bien sûr, il y a des personnes qui achètent mes créations juste parce qu’elles les trouvent jolies. Mais vous savez combien de gens m’ont déjà dit

« il faudrait au moins que tu fasses des tailles standard pour les gens qui ont envie de ça, parce que prendre ses mesures, quand même, c’est relou »

Les personnes qui me disent ça, spoiler alert, elles sont minces. Et elles ne comprennent pas pourquoi elles, elles qui ont un corps aussi normé, devraient perdre leur temps à prendre leurs mesures.

Et puis, il y a d’autres personnes, peut-être que tu en fais partie, qui ont acheté mes vêtements parce que certes, ils leur plaisaient, mais aussi parce qu’elles trouvaient important d’avoir un vêtement créé sur mesure. Certaines parce qu’elles n’ont pas toujours le choix, parce que l’industrie de la mode les a rejetées. Et d’autres qui font une taille standard mais qui, conscientes de leur privilège, ne se plaignent pas de devoir se mesurer (et en vrai, du sur mesure, même quand t’es mince ça change la vie).

Choisir une marque plutôt qu’une autre, pas uniquement pour un visuel mais pour une vision du monde partagée, c’est un acte fort. Oui, en faisant une marque aussi inclusive et engagée que la mienne, je me ferme peut être à un public LGBTphobe et grossophobe. Je me ferme probablement aussi à un public capitaliste qui ne comprend pas comment je peux laisser mes valeurs passer avant mon profit. Qu’est-ce que vous voulez, on a le public qu’on mérite 🤷‍♀️ Et moi je pense que mes créations méritent d’être achetées par des gens qui sont pas des gros *******s de droite !

Continuons à lutter, même silencieusement

Produire et consommer c’est politique. Et donc continuer à produire (et à consommer) en remettant en question les fondements du capitalisme, c’est aussi un de nos leviers d’action. Alors oui il faut aller en manif, oui il faut se syndiquer, oui il faut faire de la désobéissance civile. Mais je pense aussi que juste continuer à vivre et à se débrouiller sans se faire avaler par le monstre qui nous attend, c’est déjà énorme.

J’en ai déjà beaucoup parlé mais moi, le vêtement, c’est mon moyen d’expression. Je vis dans une société patriarcale et pas toujours hyper bienveillante, où c’est pas facile de se faire entendre. Et c’est peut-être parce que les vêtements sont les miettes que les hommes ont laissées aux femmes, ces miettes qui auraient pu finir à la poubelle mais qui leur ont semblé tellement inoffensives que leur pouvoir ne craignait rien, c’est peut-être justement pour cette raison-là que s’en emparer comme moyen d’expression est si empouvoirant !

Comments

  • Tétris said:

    Super article !

    February 22, 2025


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