Une jupe pour homme, un look androgyne, des vêtements unisexes… Depuis plusieurs années maintenant, la mode pose la question du genre à travers la réappropriation de certains codes. Et pourtant, ces tentatives ont souvent un petit goût amer, comme si elles ne faisaient en fait que renforcer certains stéréotypes de genre. 

En tant que créatrice de vêtements non-genrés, c’est une chose qui me travaille : la mode peut-elle vraiment être non genrée ? 🧐

Pourquoi nos vêtements sont-ils genrés ?

Il est difficile de dater la séparation genrée du vestiaire masculin et féminin. Tout d’abord parce que, plus on remonte dans l’histoire, moins on a de preuves tangibles, mais aussi parce que nos représentations sont polluées par des interprétations modernes du passé.

 En effet, si on imagine toujours les femmes des cavernes en robe et leurs homologues masculins en pagne, c’est moins par certitude historique que par mimétisme de ce qu’on autorise les un-e-s et les autres à porter à l’époque actuelle. 

Il semble que pendant l’Antiquité (qui dure donc plusieurs millénaires, c’est dire si on reste imprécis !), ce qui prédomine, c’est la distinction de classe sociale, et non de genre. Oui, il y a des petites différences entre les vêtements femme et les vêtements homme, mais en gros, tout le monde porte une longue tunique drapée.

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Villa Romana del Casale, Sicile

La mode est, en tout cas, à une silhouette androgyne : raison pour laquelle les seins sont écrasés chez les femmes par un strophium (ou apodesme en Grèce), les hanches par un zona.

Stop ! étymologie time ! 📖

Le mot « androgyne » existe déjà en latin (androgynus) et en grec (ἀνδρόγυνος / andrógunos). Il est l’association de ἀνδρός / andrós (« homme ») et de γυνή / gunḗ (« femme »). Une personne androgyne, c’est quelqu’un dont l’apparence physique ne permet pas de déterminer s’il s’agit d’un homme ou d’une femme (spoiler alert, iels peuvent aussi n’être ni l’un ni l’autre !). {Merci Wikipedia pour toutes ces infos !}

 Et pourtant, lorsqu’on parle de mode androgyne antique, on parle principalement de femmes qui gomment les formes de leur corps. D’autres attributs comme la barbe par exemple restent fortement valorisés (c’est la sagesse, la force, la puissance…) alors qu’ils sont justement à l’opposé de l’androgynie.

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Homme banquetant diverti par un musicien, coupe à figures rouges, v. 480 av. J.-C.

Je trouve assez significatif de remarquer que, déjà à l’époque, ce qui était considéré comme « androgyne » affectait davantage les femmes en les incitant à changer leur corps, que les hommes qui finalement, avaient juste à être eux-mêmes.

Tiens donc, ne serait-ce pas déjà une vision du masculin-neutre qui se profile ?

  

Binarité du sexe, du genre et du vêtement : une histoire de domination 👑

L’évolution de la tunique antique se fait de manière assez simple : au Moyen-Âge, tout le monde porte des robes. On commence cependant à voir des différences de genre, notamment au niveau de la longueur : les hommes portent une robe jusqu’au chevilles tandis que les femmes doivent avoir le pied couvert. Cela leur permet en fait de pouvoir bouger plus facilement (oui, quand on court avec une robe qui va jusqu’aux pieds, souvent, on trébuche !).

C’est vers la fin du Moyen-Âge (XIV-XVème siècles), qu’on voit apparaître l’élément qui va sceller la binarité vestimentaire : le pourpoint. Cette veste courte a pour particularité de révéler les jambes, et est donc réservée aux hommes (qui portent des chausses, sorte de bas montant jusqu’à mi-cuisse). Alors que le vêtement féminin reste la robe, le costume masculin se scinde en 2 pièces.

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Cette différenciation n’arrive évidemment pas par hasard, mais en parallèle d’une montée du sexisme à la Renaissance (pour plus de détails, je ne peux que vous re-conseiller le livre de Titiou Lecoq, « les grandes oubliées »).

Alors que la robe de base est plutôt confortable, on y ajoute une série d’éléments qui tendent à immobiliser les femmes : corsets, jupons ou encore talons hauts.

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Chopines vénitiennes datant de la Renaissance

A partir de ce moment-là, les vestiaires masculin et féminin vont évoluer en parallèle, avec toujours plus de confort côté homme et toujours plus d’inconfort côté femme. Le vêtement genré s’ancre dans nos mémoires et semble presque devenir naturel.

Il est à la fois conséquence et justification d’une séparation genrée des espaces, des activités, des libertés.

Il faut attendre le XXème siècle pour remettre en question cette binarité du vestiaire. Parce que la société a besoin de forces vives, les femmes peuvent commencer à travailler, et donc à porter des pantalons. Et là, surprise ! Elles découvrent que leurs anciens vêtements les ont légèrement empêchées de faire à peu près tout ce qui était possible pour les hommes.

« Il leur suffisait de porter des pantalons depuis le début !» Oui, sauf qu’il existait des lois qui leur interdisaient de le faire…

 

Les vêtements unisexes, la solution à toutes ces discriminations ? 👕👖 

Depuis quelques dizaines d’années, de plus en plus de marques se mettent à commercialiser des vêtements unisexes. Bonne nouvelle, on est enfin sorti-e-s d’affaire ! Eh bien… non, absolument pas, et ce pour 3 raisons fondamentales.

Tout d’abord, les marques qui font des vêtements unisexes les commercialisent très souvent en marge d’une collection « homme » et une collection « femme ». En gros, la binarité du vestiaire n’est pas remise en question, on y ajoute simplement une catégorie intermédiaire, qui « convient à tout le monde ».

Ensuite, parce que ces vêtements unisexes ont en fait une esthétique bien particulière : l’androgynie. Et vous vous souvenez de ce qu’on a vu au début de cet article ? L’androgyne, c’est quand même vachement un dérivé du masculin. Les vêtements unisexes sont, en gros : des pantalons, des t-shirts, des pulls, des manteaux, des salopettes et des chemises.

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Collection Denim United de H&M en 2017

Tous ces éléments qui se retrouvent en fait déjà dans le vestiaire masculin et féminin. L’astuce pour les rendre unisexes : neutraliser leur style (comprenez, encore une fois : masculiniser-neutraliser leur style). On ne retrouve ni couleurs extravagantes, ni motifs floraux, ni froufrous et dentelles dans le vêtement unisexe. Du coup, il faut se demander si ces vêtements sont réellement non-genrés, ou s’ils ne sont pas plutôt « masculin-neutre » (et donc quand même un peu genrés).

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Enfin, ma troisième critique envers les vêtements unisexes est peut-être la plus importante : ils reposent sur la question biologique de sexe et non sur la notion psycho-sociale de genre. En moins intello, ça fait… 🥸

Un vêtement unisexe peut-être porté par tous les sexes. Sauf qu’en vrai, on l’a vu tout au long de cet article, le vêtement n’a jamais été une question de sexe. Non, les pantalons des hommes ne sont pas construits autour de leurs parties génitales. La séparation des vêtements, ça n’a jamais été une question biologique (sinon, on aurait au moins quelques vêtements spécifiques pour les personnes intersexe).

Dire qu’un vêtement est unisexe, c’est oublier qu’il a avant tout une histoire genrée, socialement.

C’est, aussi, oublier que le genre n’est pas binaire (et qu’il n’existe donc pas un « entre-deux » comme le suggère le style neutre de la mode unisexe), mais qu’il y a en réalité une infinité de genres : non-binaire, transmasc, genderfluid, queer… Et qu’il ne suffit donc pas de neutraliser un habit pour le rendre de facto ouvert à l’ensemble des genres.

Alors, la mode peut-elle être vraiment non genrée ?

Je viens de dire qu’il existe une infinité d’identités de genres, mais il manque encore une pièce au puzzle. Le vêtement, comme on l’a vu à travers l’histoire, fait avant tout partie de la performativité de genre. C’est « comment je veux être perçu-e par le monde extérieur ». Et cette performance, bien entendu, évolue au fur et à mesure d’une vie.

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Photo tirée de cet article qui vous montre l'évolution de Demi Lovato

Un vêtement non genré, finalement, ça devrait juste être n’importe quel vêtement, n’importe quel bout de tissu. Malheureusement, c’est loin d’être le cas actuellement. 

En tant que créatrice d’une marque non-genrée, j’ai à cœur de questionner ces normes et je lutte pour dé-corréler le genre du vêtement mais tant qu’il y a du sexisme, tant qu’il y a des dominations de certains genres sur d’autres, il reste du vêtement genré. En fait, comme nous l’apprend l’histoire, il faut faire évoluer le vêtement et la société, l’un n’allant pas sans l’autre.

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Ca, c'est ma version d'une robe non-genrée, à commander sur mesure ici !

J’ai quand même une conviction : le vêtement est d’abord un moyen d’expression, puis de connexion et enfin de transformation. Il me semble être le vecteur tout trouvé pour exprimer ces questions de genre, ouvrir le débat dessus et, pour terminer, faire évoluer la société ! 🙌


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