C’est les détracteurs, pas les détraqueurs !
Depuis quelques années, l’écriture inclusive fait débat. Certain-e-s comprennent, d’autres moins. Et d’autres partent carrément en croisade pour stopper la montée du wokisme, cette idéologie dangereuse qui consiste à regarder en face nos privilèges et nos travers, en essayant d’évoluer vers une société plus ouverture, respectueuse et inclusive (mais attention, le wokisme, c’est mal) 🙄
Bref, dès que le sujet de l’écriture inclusive arrive sur la table, il y a des arguments contre. Et… il se trouve que ce sont souvent les mêmes qui reviennent ! Aujourd’hui, je vous propose donc un petit guide des réponses simples et efficaces à apporter aux 5 plus gros arguments anti-écriture inclusive !
1. « On a toujours fait comme ça, pourquoi vouloir tout changer d’un coup ? »
Pour ses détracteurs, l’écriture inclusive est une lubie récente de féministes woke, une mode, aussi futile que l’imprimé léopard ou la nouvelle danse Tiktok. A l’opposé, la langue française est inscrite dans une histoire longue de plusieurs siècles, ses règles grammaticales et syntaxique sont définies et respectées depuis longtemps.
C’est évidemment l’argument le plus facile à contrer. Tout d’abord, parce que « on a toujours fait comme ça », quel que soit le contexte, ça convainc difficilement. Mais aussi et surtout parce que NON, on n’a pas toujours fait comme ça. Le français, c’est une langue vivante, qui évolue, qui se transforme ! Qui, aujourd’hui, « regarde par la fenestre si le roy y vient » ? Qui a respecté la distanciation sociale pendant le confinement ?
Qui (et c’est là toute l’ironie de la chose) trouve que l’écriture inclusive c’est du wokisme (nouveau mot apparu en 2021 au Robert) ?
Entre mots qui changent d’orthographe, qui disparaissent ou qui se créent on est obligé-e-s de reconnaître qu’une langue, ça évolue. Et c’est juste normal : un monde qui change nécessite une langue qui s'adapte. C’est bien pour ça que ça s’appelle des langues vivantes, contrairement au grec ancien ou au latin qui sont des langues mortes !
2. « Y a pas des choses plus importantes dans la vie ? Franchement, ce genre de combats, ça déforce le féminisme »
Bon. L’ennui quand quelqu’un vous dit ça c’est que vous risquez de vous enfoncer dans une explication complexe qui, au choix, vous mettra une étiquette élitiste, ou bien fera en sorte que votre interlocuteur-rice décroche. Alors, que répondre à ça ?
Perso, je trouve que c’est le moment idéal pour ouvrir la discussion : « ah, donc tu es féministe ? c’est quoi, toi, les combats que tu trouves les plus importants ? et quelles actions mets-tu en place pour les combattre ? »
Ce qui vous permet ensuite de repartir de son expérience pour lui expliquer que même s’iel a un combat prioritaire, ça ne l’empêche pas de s’inquiéter aussi d’autres choses (le réchauffement climatique, la guerre en Ukraine, la manière dont ses enfants/collègues/potes sont traité-e-s par leurs pairs…) Et enfin de terminer votre argumentation sur la systémique de tout ça : il y a des conséquences plus et moins graves du même problème (le partiarcat) mais au final, attaquer ce problème par plusieurs angles, dont la langue, ça reste utile ! Si en plus vous arrivez à faire une analogie avec sa cause prioritaire, en lui démontrant qu’elle est aussi systémique, c’est top !
Après, y a la manière un peu plus incisive de répondre à cet argument, qui me va très bien aussi :
« si c’est si futile, si peu important, ça ne te dérange pas que je féminise tous les mots à présent ?
disons que le féminin l’emporte sur le masculin, vu que pour toi ce n’est pas important de parler des mots, ça ne change rien, n’est-ce pas ? »
3. « Et nos dyslexiques ? »
Quand on parle d’écriture inclusive, d’un coup, tout le monde se rappelle que 6 à 8% de la population souffre de troubles dys. Et bien sûr, la priorité, c’est de leur faciliter la vie, quels monstres souhaiteraient leur rendre la lecture encore plus difficile que ce qu’elle n’est ?
En réalité, bien souvent, il semble que parler de dyslexie dans ce cas de figure revient en fait à faire une synecdoque (oui oui, vous voyez, j’aime à la fois l’écriture inclusive et la langue française !) Ce qui est systématiquement attaqué dans ce type de discours, c’est le point médian (ça : · )… qui n’est qu’une petite partie de l’écriture inclusive ! Mon article est, depuis le début écrit de manière inclusive. Et pourtant, il n’y a qu’à quatre reprises que je me suis servie du point médian (que je remplace par un tiret, car c’est plus facile pour taper sur l’ordi).
C’est très intéressant, lorsqu’on vous sort cet argument, de parler des mots épicènes (qui ne change pas d’accord selon le genre). Dire « élève » au lieu d’ « étudiants », « potes » au lieu de « copains », ou encore « sympa » au lieu de « gentil » c’est déjà s’exprimer de manière inclusive !
4. « Les jeunes ne savent déjà pas écrire le français et vous voulez en plus leur compliquer la tâche ? »
Le français est une langue ultra compliquée, en effet. Avec ses règles aux multiples exceptions, sa prononciation parfois bizarre et sa conjugaison wtf, ça donne du fil à retordre à beaucoup de jeunes à l’école.
Quid de l’écriture inclusive dans tout ça ?
Dès lors, l’objectif de l’écriture inclusive n’est pas tant de compliquer la langue, mais plutôt d’en faciliter la compréhension.
Dire « iels sont toustes là » peut sembler un peu plus complexe à quelqu’un qui ne connait pas ces mots, mais c’est en fait beaucoup plus clair et raccord à la réalité que de dire « ils sont tous là », qui nous laisse tranquillement nous demander s’il n’y a que des hommes dans ce groupe, s’ils sont une majorité, ou s’il n’y en a qu’un seul qui l’emporte sur toutes les autres personnes présentes.
5. « La novlangue, c’est un danger ! L’invention de ces nouveaux mots, c’est le chemin vers une dictature ! »
On y est, la fameuse ref qui est brandie à tout va contre cette invention barbare de nouveaux mots destinés à aliéner les gens ! La novlangue, c’est la « langue officielle du parti » dans le roman dystopique 1984 de Georges Orwell. Il y décrit une société gouvernée par Big Brother, dans laquelle la langue est un outil de contrôle de la population.
Je vous avoue que, jusqu’à il y a peu, j’avais beaucoup de mal à répondre à cet argument. J’ai lu 1984 il y a quelques années, c’est une chef d’œuvre et c’est définitivement un monde dans lequel je ne souhaite pas vivre. Il y a encore quelques semaines, vous m’auriez fait capituler avec cet argument ! Mais heureusement, tout ça a changé lorsque j’ai vu cette vidéo de Monsieur Phi.
Fatigué de voir tout le monde fantasmer le contenu du roman, ce youtubeur-philosophe a tenu à clarifier les éléments clés de 1984, dont la novlangue. En regardant cet épisode, j’ai eu un choc : la plupart des gens (moi y compris) ont oublié ce qu’était la novlangue, et c’est précisément l’inverse de l’écriture inclusive !
En effet, la novlangue consiste uniquement à supprimer les nuances et supprimant des mots. Moins il y a de mots, moins il y a de possibilité de penser de manière divergente. Le mot « crimepensée » désigne, quant à lui, tout ce qui va à l’encontre de la vision du parti.
Et l’écriture inclusive dans tout ça ?
Au contraire, l’écriture inclusive a pour objectif de ramener de la nuance, de préciser les zones de flou, de créer des mots s’il n’en existe pas encore pour définir de nouvelles notions.
Il s’agit d’enrichir le langage et non de l’appauvrir. Et fun fact auquel je pense en écrivant cet article : vous trouvez pas que « wokisme » justement, ça sonne un peu comme « crimepensée » ? 😉