Oui, il y a 2 fois vraiment dans la question, et c’est pas une erreur. Parce que trop souvent, avec les buzzwords comme « inclusif », on a des effets d’annonce, du blabla, de la com… mais très peu de VRAIE inclusivité.

Alors pour cet article, je passe en mode autocritique et je vous explique les coulisses de ce projet!

La genèse

Avant de parler du shooting en lui-même, laissez-moi revenir sur le pourquoi. Tout a commencé quand j’ai décidé de faire des vêtements non genrés et sur mesure. Avec une déclaration pareille, j’ai rapidement compris que je ne pourrais pas faire comme toutes les autres marques qui créent des prototypes et les photographient ensuite sur modèles. Avec du sur mesure, chaque prototype serait réalisé pour le mannequin en question, sans possibilité d’en faire quoi que ce soit après, si ce n’est lui offrir. Et évidemment, c’est une solution que j’ai envisagée. Mais y a un gros souci à fonctionner comme ça : si j’ai une dizaine de vêtements (ce qui est peu par rapport à mon stock) à photographier sur une dizaine de modèles différents (ce qui est peu en termes de diversité)… je me condamne à réaliser 100 vêtements gratuits, sans aucune rétribution, et j’offre donc 10 vêtements par personne ce qui représente quand même un gros investissement (et un gros cadeau pas forcément voulu par les modèles en question non plus). Et sans compter évidemment les autres coûts liés au shooting.

 

Donc il a fallu trouver autre chose. J’ai longtemps cherché du côté technologique, en travaillant à rendre mes avatars 3D plus réalistes, plus personnels. Et plein de solutions m’ont permis d’avancer dans ce sens-là. Mais malgré tout, il me restait toujours un blocage : toutes ces méthodes sont soumises à l’utilisation de logiciels ou outils qui ne sont pas du tout pensés pour être inclusifs. Quand je travaille avec la 3D, on me rappelle constamment qu’une femme, c’est mince, ni trop petite ni trop grande, valide, qu’un homme c’est musclé, ça se tient droit et ancré dans le sol, ça ne se questionne pas sur sa masculinité. C’est un peu fou à dire mais le monde de la mode est encore tellement en retard sur ces sujets que ça ne vaut pas la peine pour un logiciel de travailler sur des alternatives, les gens qui paient s’en foutent.

Et puis, en retravaillant mon identité photographique, j’ai enfin trouvé une solution qui réglait tous les problèmes précédents : pas trop cher, qui montre des vrais gens, variés, qui est joli et que je vais pouvoir utiliser longtemps : le fameux shooting inclusif !

@assia.kara Appel a toutes les personnes qui souhaiteraient révolutionner la photo de mode 📸💃 Mon objectif de l’été ce serait de reussir a creer cette base de données de photos pour alimenter ma marque toute la l’année 🥰 en espérant que le projet grandisse petit a petit! Mes messages privés sont ouverts 😜 #modeinclusive #inclusivite #diversite #photo ♬ son original - assiakara

Concrètement, c’est comme un vrai shooting sauf qu’on prend des photos des personnes en sous-vêtements et que je reviendrai par la suite recoller les vêtements dessus, ni vu, ni connu! J’ai alors lancé un appel à participations en vidéo sur les réseaux et… j’ai eu plus d’une centaine de réponses 😱

Alors ça m’a confortée dans l’idée que ce shooting devait avoir lieu, qu’il était nécessaire et que, malgré toutes les marques qui se disent inclusives, beaucoup de personnes ne se retrouvent pas encore dans les photos de mode.

 Photographe, modèles : comment ça s’organise ?

J’ai eu quelques réponses de photographes et on a rapidement programmé des appels vidéo, pour faire connaissance et discuter du projet. Au delà de la relation commerciale, j’avais besoin de travailler avec des personnes qui se sentent vraiment concernées par le projet, et qui partagent les valeurs de ma marque. Ce processus m’a permis de rencontrer 2 photographes ultra cool, avec qui on a directement eu un match en termes de personnalité. Et ça a tout changé !

Sandra de Almeida au travail!

Plutôt que de leur « passer une commande de photos », j’ai pu me reposer sur leurs conseils, leurs idées et leur bienveillance pour réellement co-organiser les 2 premiers shooting. Alicia Lagrost à Lyon et Sandra de Almeida à Paris ont chacune pris en charge toute une partie de l’organisation. De la proposition de lieux à l’aide sur la rédaction des contrats et la recherche/sélection des modèles, elles ont vraiment eu à coeur de participer à la mise en place des shootings, afin que la collaboration soit réelle. Et ça, franchement, ça m’a fait du bien.

Alicia Lagrost au travail!

Au niveau de la sélection des modèles, ça a été une autre paire de manches. Quand on reçoit autant de candidatures vraiment cool, de personnes trans, grosses, petites ou vieilles, c’est vraiment difficile de dire non. Et parce que le succès de ce shooting reposait sur la diversité des profils, il a fallu faire des choix. C’était impressionnant de réaliser à quel point autant de personnes différentes ne se sentent pas représentées. Ca m’a fait prendre conscience de l’ampleur du spectre de la non-représentation.

Les photos

On arrive au jour J : le jour des photos. Le gros avantage de ces shootings, c’est la légèreté avec laquelle j’ai pu arriver : comme on ne photographie pas directement les vêtements mais uniquement les modèles, pas besoin de prévoir tout l’attirail habituel (les fringues, le défroisseur, la tringle etc). Du coup, je me suis chauffée en me surchargeant niveau catering 😅

Le fait de ne pas trop devoir me tracasser des photos en tant que telles m’a permis de remettre toute mon énergie sur un truc qui passe souvent à la trappe dans les shootings classiques : prendre soin des gens. En effet, pendant que la photographe est avec un-e modèle, qu’est-ce qu’on fait des autres? J’ai vraiment pris du plaisir à faire leur connaissance mais aussi à m’assurer de leur bien-être à tout moment. Faire le suivi pratique des arrivées/départs, proposer à manger et à boire, m’intéresser à leur personne… pour qu’encore une fois, ces modèles ne soient pas juste des prestataires mais de vrais humains avec qui on co-crée un truc de dingue!

Travailler avec des photographes qui sont éduquées sur le sujet de l’inclusion (parfois même plus que moi) c’est éviter à tout le monde des soucis qu’on rencontre constamment dans le monde réel. Elles ont permis la création de safe places, où on peut être qui on veut, sans avoir peur du jugement. Et parce que, pour beaucoup de modèles, c’était une première devant l’objectif, leur gentillesse et leur bienveillance durant les shootings, leur renforcement positif pour encourager des personnes à poser en sous-vêtements en extérieur, c’est l’un des ingrédients principaux pour des photos réussies ! 

Alors, shooting inclusif ou pas shooting inclusif ?

 

Vu les relations qui se sont créées, vu l’ambiance qu’il y a eu à chaque étape, vu la bienveillance de toutes les personnes présentes : OUI, je pense qu’on a réussi à faire un shooting vraiment inclusif. J’ai le sentiment que toutes les personnes qui ont participé se sont senties bienvenues, respectées dans leur identité et autorisées à être elles-mêmes. Rien que d’y penser, ça m’émeut encore 🥹 

Par contre, cette expérience m’a permis de réaliser qu’il y a encore un énooorme souci dans les photos de mode que, avec mes deux petits shootings rassemblant au total 16 personnes, je n’ai pas réussi à résoudre en un seul coup : le manque criant de diversité dans les modèles représentés. En effet, dans mes deux shootings, on manque encore vraiment de représentations de certains profils : femmes trans, personnes non blanches, personnes porteuses de handicap visible… Oui, j’aurais aimé montrer encore plus de personnes différentes. Bien sûr, j’estime que mes 16 modèles représentent une diversité, mais pas LA diversité. Hé oui, 16 modèles, c’est beaucoup mais c’est pas suffisant ! Je vous laisse imaginer comment font les marques qui bossent avec seulement 2-3 modèles.

Je suis trop contente de cette expérience et j’ai le sentiment qu’elle aura un impact à la fois sur moi, sur les photographes, les modèles, les MUA et les personnes qui verront bientôt ces photos partout sur les réseaux ! Mais je ne compte pas m’arrêter là et me satisfaire de ce premier petit pas. L’inclusion, ce n’est pas un moment, c’est un processus constant.

Si je ne prévois pas de m’y remettre tout de suite, je peux vous dire que le prochain shooting que j’organiserai aura comme focus de représenter des profils qui ne sont pas assez montrés dans mon premier essai. Et le troisième shooting montrera encore d’autres types de personnes que le deuxième. Etc. Jusqu’à ce qu’on arrive un jour à une diversité tellement énorme de modèles que toutes les personnes délaissées par l’industrie de la mode puissent enfin se voir représentées !

 

Y a trop de beauté dans ce monde, qui ne demande qu’à s’exprimer dès lors qu’on lui laisse accéder à un peu de lumière. Vous êtes belleaux. Merci !

Commentaires

  • Flo:

    C’est un très beau projet et je pense que ça rejoint le besoin d’énormément de personnes de se sentir incluses dans la mode et dans l’habillement.

    Surtout sachant l’impact que la publicité en matière de mode a sur la mentalité des personnes (c’est triste quand ceci a un impact négatif sur les préjugés et la santé des gens (le nombre de troubles du comportement alimentaire qui proviennent des pubs féminines avec des corps rachitiques !) mais réel).

    Courage et bon travail pour la suite 👏🏻🫸🏻🫷🏻

    19 octobre, 2024

  • Raphaël :

    Je suis ravi.e d’avoir contribuer à ton projet !
    C’était ma toute première participation en tant que modèle et c’est une expérience qui ne s’oublie pas !

    19 octobre, 2024

  • Thaïs:

    Merci encore pour ce moment et ce beau message !
    J’espère que ton continuera encore longtemps à prendre du plaisir à créer les vêtements qui te ressemble et que tu AIMES réellement 🌟

    Très bonne continuation ✨

    19 octobre, 2024


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