Un jour, je devais avoir 10 ans, une camarade de classe s’est moquée de mes poils. Pour la première fois de ma vie, je me suis sentie laide. Dégoutante. Pour la première fois de ma vie, j’ai compris qu’il y avait une bonne et une mauvaise manière d’être.
J’ai compris que ma peau claire et mes poils épais et foncés allaient poser problème. Que je devais m’épiler si je voulais un jour avoir ne serait-ce qu’une chance de trouver un mec. Un mec poilu, ça va de soi.
Depuis ce jour, j’exècre mes poils. Dès que j’ai pu, j’ai fait chauffer le rasoir, en hiver comme en été : pas question qu’un seul petit point noir dépasse ! Du rasoir, je suis passée à la cire, l’épilateur et j’ai même testé le laser.
Bref, j’ai appris que les poils, sur une fille, c’était moche. Mais depuis quand ? Et pourquoi ? Quels sont les grands secrets qui se cachent derrière cette foret pilaire ?
C’est ce qu’on va découvrir dans l’article du mois !
Une question de biologie ?
On dit souvent que cette distinction est « normale », puisque « les hommes ont plus de poils que les femmes ».
En réalité on a toustes le même nombre de follicules pileux (5 millions), quel que soit notre sexe ou notre âge. On naît avec nos follicules et on meurt avec !
Ce qui change, en revanche, c’est leur texture : certains poils vont rester au stade de duvet, d’autres devenir beaucoup plus épais comme ceux d’une barbe par exemple (on les appelle « poils terminaux »).
Qu’est-ce qui cause ce changement ? Comme souvent, il s’agit principalement des hormones !
Il se trouve que les hormones androgènes, notamment la testostérone (que, je rappelle, nous produisons toustes, mais en quantités différentes) influencent beaucoup la texture des poils.
Donc, bien qu’on aie toustes le même potentiel de poils à la naissance, les personnes qui produisent de la testostérone vont avoir tendance à développer des poils plus épais. C’est pour ça aussi que la pilosité est un enjeu important pour les jeunes ados : elle se révèle à la puberté. Aujourd’hui, dans notre société, avoir des poils est considéré comme « masculin ».
Alors, un mec de 15 ans qui n’a pas encore besoin de se raser sera tout aussi raillé qu’une meuf du même âge dont le duvet de la « moustache » est un peu plus épais.
Ces phénomènes hormonaux, sur lesquels on n’a aucun contrôle, questionnent directement la binarité du sexe et du genre. Et pourtant, au lieu de remettre en question une vision patriarcale et sexiste du monde, on va juste discriminer, rabaisser, se moquer des personnes qui ne correspondent pas à cette norme 🤦♀️
Une question d’histoire alors ?
Cette norme, justement, elle n’est pas immuable. En fonction des époques ou des lieux, le poil a un statut très différent.
Les premiers outils d’épilation retrouvés datent de la Préhistoire, mais les premières réelles qu’on en a datent, comment souvent, de l’Egypte Antique. A l’époque, on s’épile tout le corps, quel que soit son genre. Le poil est synonyme d’impureté et d’animalité, donc plus le statut est élevé, plus l’épilation est importante. Il ne reste que la petite barbichette, postiche non genré, destiné aux Pharaons.
Statue colossale de Ramsès II à Louxor - XIXe dynastie
A la même époque, de l’autre côté de la Méditerranée, Alexandre le Grand oblige son armée à se raser la barbe, pour une raison bien plus pratico-pratique : cela offre une prise de moins à l’adversaire. En attendant, il lance quand même une mode qui perdurera dans son empire jusqu’à l’arrivée du christianisme qui, comme souvent, dicte de nouvelles normes. La religion impose de garder son corps comme dieu l’a voulu : tout acte de transformation (donc l’épilation avec) est proscrit.
Dernier fun fact historique : au XVIIIeme siècle, le Tsar Pierre le Grand décide de lancer un impôt sur la barbe… et évidemment, lance du même coup à nouveau la mode de se raser !
La Naissance de Vénus (Botticelli), 1485
Quoi qu’il en soit, les poils du corps (sous les bras, sur les jambes etc) semblent ne faire ni chaud ni froid aux siècles qui nous précèdent. Et pourtant, bizarrement, on les représente rarement dans les œuvres d’art. Est-ce parce qu’ils ne sont pas considérés comme beaux, malgré qu’ils soient bien présents ? Ou bien, c’est juste parce que c’est difficile de peindre des poils ?
On le sait : nos ancêtres ont rarement été aussi dégoûtés des poils féminins que nous. Mais alors pourquoi est-ce qu’aujourd’hui, l’épilation est la norme ?
Mmmh… et si c’était juste une question de capitalisme ?
On arrive en 1915. La marque américaine Gillette trouve qu’elle ne fait pas assez de thunes avec les rasoirs pour hommes. Et comme souvent dans ces cas-là, un génie du marketing a une idée lumineuse :
et si on s’attaquait à l’autre moitié de la population ?
Ca tombe bien car les jupes commencent à se raccourcir. C’est l’occasion d’inventer de toute pièce un complexe qui fera des sous sous.
Inconsciemment peut-être, imposer une nouvelle normes aux femmes lorsqu’elles se libèrent d’une ancienne (longueur des jupes), c’est aussi s’assurer qu’on continue à les contrôler.
En tout cas, à partir de ce moment là, la chasse aux poils commence. Toutes les marques s’y mettent et proposent de plus en plus de produits pour nous aider à nous épiler… tout en nous faisant par la même occasion dépenser de plus en plus d’argent… et de temps !
La plupart des injonctions, des standards de beauté, s’accompagnent d’une charge mentale : acheter les bons produits, se renseigner sur les nouvelles modes, prendre le temps de bien faire les choses… si bien qu’on est, à nouveau, moins disponible pour s’émanciper, tout ça.
A propos de l’épilation et du rasage, déconstruisons encore une idée reçue : NON, raser ses poils ne les rend pas plus épais ! La youtubeuse Scilabus a fait une expérience sur le sujet et perso, ça a totalement changé ma vision des poils !
Se libérer de l’injonction ?
Je sais pas vous mais moi, après avoir appris tout ça, je n’ai eu qu’une envie : arrêter tout, laisser mes poils vivre et emmerder le patriarcat ! Sauf que… malgré ce que dit mon cerveau, mes émotions sont toujours là : peur d’être laide, rejetée, ridicule…
Pendant tout un temps, j’ai donc continué ma routine jusqu’à ce que ce soit l’hiver et qu’on s’en foute un peu. Et quand le printemps est arrivé… j’ai eu la flemme ! J’avais tellement de choses importantes à faire que je ne prenais plus le temps de m’épiler aussi religieusement qu’avant. J’ai naturellement commencé à laisser pousser mes poils de jambes en attendant que le couperet tombe et… voilà ce qui s’est passé :
@assia.kara Après cette soirée j’ai encore laissé pousser mes poils 2 semaines de plus, en etant en jupe/short non stop ✊ mon petit acte perso de resistance 😉 #patriarcat #poils #femmepoilue #poilsfemme #injonctions #injonctionsfemme #epilation ♬ son original - assiakara
Alors, que retenir de tout cela ? Interdire ou obliger l’épilation : c’est NON et NON ! Par contre, laisser le choix, à chacun-e-x de disposer de son corps comme iel l’entend, ça ça me parle !
Même si aujourd’hui, le poil féminin est encore très mal vu, j’ai envie de vous inviter à tester pendant quelques semaines. Vous savez quand mon mec a remarqué que j’avais arrêté de m’épiler les jambes ? En voyant mon tiktok (un mois après). Même si ça vous paraît insensé, testez ! Après, libre à vous de choisir de vous épiler ou non, tant que vous le faites pour vous et pas pour les autres !